Bernard BOISSAY n’est plus, Adieu Camarade !
Adieu Camarade !
La lecture de ce courriel du 15 mars 2014 m’annonçant le décès de mon compagnon de lutte Bernard Jean Marie Boissay m’a laissé abasourdi. Il est mort le jeudi 13 mars 2014 à Verdun à l’âge de 70 ans. Homme épris de justice et de générosité. Fervent défenseur du faible et de l’opprimé, militant anti-impérialiste et anti-raciste, Bernard a beaucoup donné pour aider les autres à travers tous ces combats qui ont jalonné sa vie.
A toi Camarade,
Toi qui as tant donné,
Toi qui as tant fait pour les autres,
Toi pour qui le don de soi était essentiel
Toi qui as cru en l’homme jusqu’à la fin,
Adieu Camarade et repose en paix.
Pierre Eboundit
Extrait de la Postface.
En sa mémoire, voici l’extrait de la postface qu’il a écrit pour mon livre intitulé : « Le M22, Une Expérience au Congo, Devoir de mémoire ».
Mon cher Pierrot,
À la lecture de ton manuscrit j’éprouve un double sentiment de satisfaction : le premier celui d’avoir été, dois-je l’avouer, vengé par procuration de ma lâcheté de ne pas avoir répondu aux propos de Gisèle Halimi lorsqu’elle fit paraître son livre que tu cites, « L’Avocate irrespectueuse » : dans son opuscule sur plus de 90 pages, elle nous (nous les quatre coopérants français mouillés et emprisonnés lors des événements de février 1973) étrille généreusement et assène des contrevérités, du genre que nous et le M22 sans doute, étions des alliés objectifs voire subjectifs de la CIA. À l’époque lors de la parution de ce premier écrit par une personnalité de renom sur le M22 en France, la paresse intellectuelle, le décès de ma mère, l’isolement « des camarades « , le sentiment que Gisèle était une personne honorable « à la plume alerte certes, mais à certains propos, plutôt inconsidérés » m’avait fait différer toute réponse et le temps passant jusqu’à toute velléité de réponse. Aujourd’hui encore je considère la « camarade » Gisèle Halimi » comme une personne respectable qui représente toujours pour moi, l’honneur d’avoir lavé la honte française de la guerre d’Algérie au même titre que les porteurs de valises (autres comploteurs obscurs contre l’État français). Je crois aussi, en mon for intérieur et peut-être en celui de mes trois compères, nous qui avons eu l’honneur et les désavantages d’être emprisonnés, jugés, et expulsés – après ce fameux procès d’avril 1973 – et ramenés sains, saufs et libres par notre héroïne avocate au bercail français, je crois donc, que ce qui a motivé notre et peut-être nos silences respectifs, c’est ce sentiment que nous nous sentons toujours redevables à son endroit du fait (et quoi qu’il en soit) de nous avoir sortis de prison en dépit et des manipulations dont elle fait état elle-même à notre égard. Car elle-même fut manipulée par le « camarade » Arthur et nos « magnifiques » révolutionnaires de l’époque, lesquels étaient nos juges ou accusateurs c’est-à-dire les Nzé, Lopès, Ngouabi et compagnie dont elle s’engorge, oserais-je dire, malheureusement jusqu’à aujourd’hui d’avoir été – tout sentiment révolutionnaire confondu – « fort respectée ». En 2002, lors de la parution de son livre, je me répétais d’ailleurs à l’envi pour couvrir mon silence et mon renoncement, cette phrase leitmotiv : » Il vaut mieux laisser la vieille dame digne, tranquille ». À ce sentiment que nous étions redevables à notre avocate de notre liberté retrouvée, je crois que se mêle encore aujourd’hui une certaine honte d’avoir abandonné nos compagnons d’infortune, Vous les congolais emprisonnés, à votre triste sort c’est-à-dire prisons, bastons, insalubrité des geôles, et en cela dédouanés sans trop d’état d’âme, justement par Gisèle. Donc honte à moi, honte à nous pour ce silence plus que gênant et merci à toi Pierrot pour avoir ouvert cette brèche d’une parole plus assumée et d’un dialogue plus digne entre « camarades ».
Le second aspect du sentiment de gratification que je te dois, mon cher Pierrot, c’est la reconnaissance, à deux acceptions au moins du sens de ce concept si cher à Paul Ricœur : reconnaissance en tant que première connaissance et reconnaissance comme connaissance première. En effet parmi toute la littérature, qui « depuis-depuis », comme disent les Camerounais, fait mention du M22, tu es le seul qui, après plus de 35 ans de silence, ouvre ce pan d’une histoire congolaise volontairement ignorée, caricaturée, voire falsifiée. Et je dis en second lieu, connaissance première… au sens d’originelle parce que tu as fait l’histoire, tu étais « actif » sur le terrain, » en première ligne » et, à tout le moins, tes propos de première main intellectuelle – même s’ils sont imprégnés de la subjectivité de l’acteur – ne peuvent être entachés d’insincérité ou d’inauthenticité. Merci une fois encore pour cette reconnaissance, cette re-visitation des faits réels conservés intacts dans ta mémoire et qui ravivent notre souvenir. Tu es ainsi le premier, je crois, qui ose affronter sous la forme du témoignage et en centre d’intérêt unique et en monographie analytique intégrale, ce mouvement du M22 si douloureux pour tout Congolais puisqu’il qu’il signe quasiment la mort de la « gauche congolaise », et en même temps l’avènement d’un mutisme éloquent, (tant chez les politiques que chez les historiens), lequel résonne fortement encore aujourd’hui du refoulement ravageur et destructif du non-dit. N’oublions pas que dès 1965 le Congo, ce petit pays d’Afrique Centrale opte pour le socialisme, scientifique ou léniniste peu importe, que tous les Massemba-Débat, Dalla graille, Noumaz… et autres moins connus voulaient sincèrement une révolution et un changement pour le pays ; n’oublions pas qu’avec l’assassinat de Diawara et l’élimination de tout le M22 et d’autres, les 1600 arrestations, emprisonnements, exécutions sommaires… commence l’agonie de cette gauche congolaise et in fine avec l’assassinat en 1977 de Marien Ngouabi, l’éventualité concrète d’un régime social et politique, pouvant servir les intérêts et les idéaux du peuple congolais, est définitivement caduque. Et pourtant ce n’était pas rien que la laïcisation de l’enseignement, la création de mouvements de masse, tels l’U.G.E.E.C., la C.S.C, l’U.R.F.C. et d’autres, ce n’était pas rien non plus d’avoir » bouté » hors du territoire national, les troupes néocoloniales…
…Mon cher Pierrot excuse-moi de te l’avouer, quitte à fâcher ta modestie, mais il y a dans ton témoignage poignant et véridique, une fraîcheur des propos, une précision » métronomique » dans ta mémoire, tels qu’ils me redonnent « jouvence », plus loin que tu ne le penses, car au-delà de mes trente ans de l’époque, je me suis ressenti à nouveau » scout », héros projeté dans les aventures des signes de piste – ma lecture favorite de mon adolescence (en sus de la poésie) : même camaraderie, même générosité, mêmes idéaux, même dangers imminents,… vos adolescences terminantes et la mienne prolongée prenaient langue avec le dur apprentissage de la réalité et la réalité du Congo, c’était misère – misère et « vieux colons », violence et violence et assassinats politiques. Oui, on nous a accusés de romantisme révolutionnaire, de guévarisme, d’ultra gauchisme ou du moins de gauchistes dévoyés ; ah ! ce cher Lénine brandi au prétoire de la cour » révolutionnaire » de justice…; mais aujourd’hui ces grands révolutionnaires matures qui tenaient ferme la Révolution sur des rails sûrs, que sont-ils devenus ? Que sont nos amis en révolution devenus ? Quid de leurs admonestations et remontrances ?
… Merci Zao : cadaveres ! ! ! Ngouabi, trop à gauche devenu, pour ses pairs en tribalité, à la veille d’une velléité de réconciliation nationale : éliminé ! Et cette gauche bien-pensante et bien au faîte du pouvoir pour nous juger… Où est-elle ? Que fait-elle aujourd’hui ? Enfuie, enfouie, bien terrée ailleurs dans des postes bien pantouflards d’organismes internationaux ou d’avocats ou de conseils ou de représentants de pacotille d’un gouvernement fantoche d’un pays zombie ! Je ne cite personne, ils sont trop ; excusez l’emphase, le malheur est si grand ! Que sont ces défenseurs du vrai peuple, ces authentiques marxistes-léninistes tenants de l’orthodoxie de bon aloi, devenus ? Car oui : » Tout pour le peuple ! », et le peuple a tout vu : guerres, misère, expulsions, déportations exil et la désespérance… « Rien pour le peuple ! » : oui plus rien, que la soldatesque milicienne en garde-chiourme des affamés et gardienne sacrée du temple Famille-Clan-Tribu ! Et qu’on ne nous accuse pas, nous les gauchistes ou jeunes désinvoltes d’avoir été la cause d’un tel gâchis des guerres civiles ultérieures et autres, je le répète « ce gauchisme du M22 » et toute la gauche a été tuée dans l’œuf à peine fécondé, en ce printemps 73.
Mon cher Pierrot, si ton récit-témoignage réécrit de manière concrète la belle chanson de Boukaka « O zali kaka mwana ya Congo » toi l’enfant-ado du M22, aujourd’hui tes analyses incises et tes prises de position sur la politique congolaise d’hier et d’aujourd’hui ne sont en rien des élucubrations romanesques et dépassées, car cette reviviscence d’un passé commun, m’a encore une fois replongée, par des flashs incongrus mais plus que symboliques dans la réalité continuée de ce passé africain fondateur d’un aspect de ma propre personnalité, car moi aussi je suis quelque peu un enfant du Congo….
…Merci à Diawara, Ikoko, Olouka, Bakékolo, ou tout autre et bravo à « l’Autocritique » d’avoir forgé ce concept aussi vrai, si juste, si opérationnel de l’OBUMITRI, à en donner mauvaise conscience à l’obscur petit fonctionnaire lambda de l’État congolais !
À force d’accuser verbalement l’impérialisme, le néocolonialisme, « A bas ! »… « A bas ! » ces slogans qui ne dérangeaient plus personne, qui ne changeaient rien et surtout qu’ils s’en prenaient à des ailleurs presque introuvables ici (bien sûr, je veux dire au Congo où j’étais de 1968 à 1973) voilà qu’au lieu de regarder… la poutre dans l’œil d’autrui, on venait de s’apercevoir- ô verdeur de cette insolente jeunesse, ô vérités sorties de la bouche de nos propres enfants- que la même poutre hideuse et monstrueuse était aussi dans le sien, le sien œil, et si gênante qu’on ne la voyait que trop et qu’elle empêchait la révolution de faire, ne serait-ce qu’un tout petit premier pas.
Si au procès nous avons peiné à contrer l’accusation : « qu’on ne complotait pas » ou du moins, qu’on ne participait pas à une forme de complot contre l’état en soi, vu qu’en milieu urbain on avait « piqué » des armes, vu qu’au maquis on s’entraînait militairement ou physiquement et que Goma-tsé-tsé réclamait des armes , même si notre dernier argument au procès a été de dire que ni Ange, ni aucun maquisard, ni personne du M22 n’a utilisé son arme contre un quidam congolais ou autre, la contradiction de notre engagement était patente : lutte démocratique ou armée ? lutte légitime ou illégale assumée ?…notre objectif était-il de détruire l’état ou seulement l’état néocolonial et de quelle manière alors ?
Mais le concept et la réalité de l’OBUMITRI étaient évidents et clairs pour nous tous : embastillés, militants hors M22, voire même jusqu’à nos Juges Idéologues et tout le peuple à l’écoute du procès et personne n’était dupe de la puissance de ce concept !!!
O…Classe restreinte et privilégiée Oligarchie, excuse-moi du peu, mon Congaulois frère, pour ce « grec » de référence !
BU …Ah… ces fonctionnaires tellement bureau/cratiques qu’ils en ont 2 ,3 et même plus de bureaux !
MI-litaires, si omniprésents qu’ils s’occupent de tout : circulation, police, douane et frontières, renseignements, baston, espionnage, nettoyages et liquidations sommaires et autre corvée de bois, viols et vols à l’occasion… (les dérives miliciennes sont en germe ici)
TRI-bal, à entendre au sens strict du terme : « au service d’une seule ethnie », de préférence, avec comme variantes possibles mais qu’en cas d’obligation du partage par la force : chacune son tour et chacun prend sa part du gâteau ! Parfois certaines élites choisies (dans la bourgeoisie bureaucratique évidemment) et qui ont fait allégeance au pouvoir dominant, peuvent être invitées à venir prendre part au festin- momentanément- et à elles de savoir qu’elles peuvent n’importe quand être privées de dessert ou forcées à l’exil ou plus simplement éliminées. .La statue du Commandeur veille et semble dire : « Mange bien et tais-toi ou meurs ! »
Mon cher Pierrot, je te fais grâce ici de nos points de divergence analytique sur le M22, lesquels tiennent tout autant à nos expériences « politiques » ultérieures qu’à nos appartenances culturelles différentes et peut-être « en tout cas » pour moi, à l’estompage progressif comme un fondu enchaîné, de mes souvenirs ;… nous en avons déjà tant parlé !…
…Mais comme toi j’espère que ton témoignage et les éléments perspicaces d’analyse attenants que tu développes sur le M22 et sur ce qui suit notamment la C.N.S., permettront à tous les Congolais de bonne foi de connaître plus exactement ce qu’il en a été de ce mouvement et comment il peut éclairer la suite des événements des années 74 à nos jours. J’espère également que ton témoignage facilitera la rencontre des anciens non pas pour qu’ils se racontent des histoires embellies d’anciens combattants ou de souvenirs grasseyés d’anciens élèves de Lycée, mais pour qu’ils réunissent les éléments disparates du puzzle que vous possédez, afin qu’ensemble vous peaufiniez vos analyses, vous confrontiez les acquis révolutionnaires du M22 aux réalités de l’histoire plus contemporaine du pays de André Matsoua, Fulbert Youlou, Alphonse Massamba-Débat et Marien Ngouabi ; histoire faite aussi des espoirs déçus (de démocratie balbutiante) de la C.N.S., et de la désespérance toujours actuelle de la mise en coupes réglées du pays par les miliciens tribalistes de tous bords, et par le redoutable et redouté dictateur de la Françafrique.
En conclusion, mon cher Pierrot, je crois voir, en ton entreprise d’écriture, à l’aune de ta maturité assumée, le cri encore vivace et féroce d’un jeune, d’un homme désespéré et cependant aussi plein d’espoirs. Ce cri de l’exilé, « au cœur de la bête capitaliste » pour pasticher le vocabulaire marxiste de nos 30 ans, veut affirmer son appartenance à la patrie – Congo à la dérive et en même temps son exigence d’édification de la Cité Mondiale des êtres humains, à la recherche d’un alter monde plus soucieux des droits et des devoirs, supérieurs à l’intérêt strictement économique. Ce cri lancé à la cantonade pour tous les enfants du Congo d’ici, de là, de là-bas – Biso na Biso – pour les Congolais autochtones comme pour les Congaulois devenus tels, par la force de « nos ancêtres !?» ou pour tout Congolais de la diaspora européenne, américaine, asiatique ou océanique et même pour les Nouveaux Gaulois comme moi, ce cri poussé pour que tous puissent comprendre leur histoire et se comprendre ainsi eux-mêmes, ce cri de rassemblement, pour inscrire de nouveau dans le concert des Nations et de la démocratie à inventer au Congo, ce cri à longueur de chacune de tes pages… puisse-t-il être entendu !!! et, comme le dit mon ami marin : « Bon vent, bonne vie» et pour moi je te dis : « Bon vent à tes feuilles, et bonne vie à toi, camarade ! »
Bernard Boissay
Commentaires récents